Quand l'Ordre maçonnique fait sa cour à la Couronne. - Les Constitutions dites d'Anderson entre invention de la tradition et réécriture de l'histoire


Pierre-Yves Beaurepaire[I]


Dès la fondation de la première Grande Loge de Londres, le 24 juin 1717, les francs-maçons s'interrogent sur la genèse de l'Ordre maçonnique et de l'Art Royal. L'enjeu politique est évident. Prouver que l'Art Royal s'est perpétué depuis les temps immémoriaux, et que les Accepted and Free-Masons, ou francs-maçons spéculatifs, sont les héritiers directs des Freemasons -littéralement Freestone masons (maçons de pierre libre, déjà taillée)-, sans solution de continuité entre Maçonnerie spéculative et Maçonnerie opérative, c'est légitimer l'autorité de la Grande Loge de Londres sur les francs-maçons.
La mission que le Grand Maître duc de Montagu confie au pasteur James Anderson est donc essentielle. Dans la deuxième édition (1738) des Constitutions, Anderson rappelle que « les francs-maçons [...] n'avaient point de Livre de Constitutions qui fut imprimé jusqu'à ce que sa Grâce le présent duc de Montagu alors Grand Maître, m'ordonnât de lire les vieux manuscrits et de compiler ces Constitutions ainsi qu'une chronologie exacte ». Il s'agit de se plonger dans les Old Charges, ou « Anciens Devoirs » des maçons opératifs, afin d'en tirer la matière d'une histoire officielle de la Maçonnerie immémoriale: « Faire de ces nouvelles constitutions, adoptées en 1723, un récit exact et juste de la Maçonnerie depuis le début du monde jusqu'à la Grande-Maîtrise de votre Grâce, tout en conservant tout ce qui était réellement antique et authentique chez les anciennes ». On est clairement dans une perspective d'« invention de la tradition » dont les historiens des temps modernes sont familiers depuis le recueil majeur édité par Eric Hobsbawm et Terence Ranger en 1983[1].
Les Old Charges, qu'Anderson appelle les « Constitutions gothiques », forment un ensemble de 127 manuscrits, dont 113 existent toujours. Parmi les plus célèbres, on relève le Regius (vers 1390), le Cooke (vers 1420), et le Sloane n°3438 (1646). Leur structure interne est similaire. Chaque version des Anciens Devoirs contient en ouverture une prière, puis un récit légendaire des origines du métier (craft), des temps bibliques à son établissement en Angleterre. On pénètre ensuite dans le cœur de ce texte réglementaire et normatif. Un règlement précise quelle doit être la conduite des maîtres, des compagnons et des apprentis, tant sur le plan professionnel que moral. Les règlements et statuts des métiers français font de même. Rappelons d'ailleurs, qu'en France, les membres du métier se retrouvent dans une confrérie afin de vénérer leur saint patron. Les Old Charges précisent enfin les mesures à prendre pour la tenue des grandes assemblées qui voient converger de très nombreux maçons des quatre coins de l'Angleterre. Ils rappellent que l'assistance est obligatoire. Les procédures pour le procès et le châtiment d'un membre reconnu coupable d'offense ou de délit sont prévus, de même que les procédures d'admission des impétrants, incluant un serment de fidélité.
James Anderson, à qui revient la compilation de ces manuscrits, pour l'essentiel médiévaux, n'est pas un historien au sens moderne du terme. Son entreprise est fortement influencée par la vogue de l'antiquarianism, mot qui n'a d'autre équivalent français que « goût ou manie des antiquités » selon Georges Lamoine[2]. On remarquera d'ailleurs que le mouvement des antiquaires (antiquarians) renaît précisément en 1717, avant que la Society of Antiquaries n'obtienne sa reconnaissance officielle en 1751 par charte royale. L'antiquaire est mû par une curiosité universelle; il multiplie les enquêtes en tous sens, mais se passionne d'abord pour l'histoire des peuples britanniques. Il s'interroge sur l'origine de leurs langues, sur leur patrimoine architectural, remontant des châteaux forts médiévaux aux mégalithes de Stonehenge:
« Tout est sujet à enquête; en un mot l'antiquaire s'intéresse à tout ce qui constitue le passé national d'abord, anglais, écossais, gallois, irlandais suivant les origines et la situation de l'individu. C'est ainsi qu'on trouve pêle-mêle des études sur l'histoire de l'art militaire et de la chevalerie, la construction des châteaux forts, l'art de bâtir des ponts au Moyen Âge, les bâtiments religieux, les costumes, les récréations et passe-temps d'autrefois, les prix et les salaires, les mœurs, la musique, etc. L'aspect littéraire n'est pas oublié, et les recherches en ce domaine donneront beaucoup de résultats, surtout après 1760. La vie religieuse des Anciens intriguait beaucoup les curieux, et William Stukeley, maçon, publia plusieurs études sur les Druides, les mégalithes et tout particulièrement Stonehenge, où il voyait un temple druidique dédié au culte solaire par sa configuration par rapport aux astres[3].»
Or, nombre d'antiquaires ont été également des francs-maçons de premier plan. Déjà en 1646, le savant Elias Ashmole, antiquaire distingué, dont le cabinet est à l'origine du célèbre Ashmolean Museum d'Oxford, fut l'un des premiers Accepted Masons anglais: « I was made a Free Mason ». Son Journal rapporte en effet qu'il fut initié en octobre à Warrington dans le Lancashire, en compagnie de son beau-père, par une loge de sept frères réunie pour l'occasion[4]. On pense même qu'une version du manuscrit Sloane n°3438 des Old Charges a été écrite pour sa réception. Trente-six ans plus tard, Ashmole mentionne sa convocation à une tenue au Masons' Hall de Londres le 11 mars1682[5]. Il n'y a malheureusement aucune autre référence à la Franc-maçonnerie dans le Journal d'Elias Ashmole.ès le XVIIe siècle, son cas n'est pas isolé. Antiquaire distingué et héraldiste de renom, Randle Holme (1627-1699), troisième du nom, écrit dans Academy of Armoury en 1688 qu'il ne peut que se flatter de la fréquentation des maçons (opératifs) en raison, premièrement, de l'antiquité de leurs métiers et corporations, et surtout, en second lieu, de son appartenance personnelle à la société des francs-maçons. Ce témoignage est capital car il montre concrètement les liens que des non-opératifs, qu'il est sans doute prématuré et risqué de qualifier de spéculatifs, tissent avec les opératifs, et révèle l'existence simultanée de plusieurs structures maçonniques, permettant les échanges entre opératifs et non-opératifs. Randle Holme donne des informations sur la loge qui se réunit à Chester. Le terme de loge ne désigne pas ici la cellule élémentaire de la sociabilité maçonnique associative, composée d'un noyau stable de frères, occasionnellement grossi de frères visiteurs, l'ensemble de ses membres se réunissant régulièrement. Il s'agit plutôt de l'assemblée des frères convoquée pour l'occasion afin de recevoir un impétrant, « making a mason » écrit Ashmole. Les vingt-six membres de la loge à laquelle appartient Randle Holme, et qui se réunit à Chester vers 1672, sont pour la plupart liés aux métiers du bâtiment. Leur présence à Chester est manifestement due à la reconstruction de la ville, après le siège qui l'avait profondément meurtrie au cours de la guerre civile[6].
Au XVIIIe siècle, alors que le mouvement de l'« antiquarianism » trouve un second souffle, les témoignages sur ceux qui ont imité Ashmole sont plus nombreux. Ils sont connaisseurs -au sens du connoisseurship anglais-, collectionneurs, et se passionnent pour la géométrie. On a mis au jour de nombreux témoignages de leur remarquable intérêt pour l'architecture. La magnifique collection de dessins géométriques, architecturaux et symboliques réunie vers 1725 par John Byrom (1691-1763) en est un bon exemple, où l'on décèle l'influence hermétiste et alchimique du XVIIe siècle. Ces hommes de l'otium, le loisir aristocratique qu'exaltaient les anciens comme la valeur noble par excellence -otium cum dignitate pour citer Cicéron-, étaient de véritables « amateurs » de l'Art Royal pris dans son sens premier d'architecture et de géométrie[7]. Cette perspective nourrit d'ailleurs un projet éditorial majeur, porté par le huguenot Bernard Picart et un noyau d'actifs francs-maçons entre Angleterre et Provinces-Unies: les sept volumes et quelque 250 planches gravées des Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde que Lynn Hunt, Margaret Jacob et Wijnand Mijnhardt ont étudiés dans deux magnifiques ouvrages: Bernard Picart and the First Global Vision of Religion[8], et The Book that Changed Europe: Picart and Bernard's Religious Ceremonies of the World, récemment traduit en français[9]. Lynn Hunt, Margaret Jacob et Wijnand Mijnhardt n'hésitent pas à affirmer que Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde a changé le regard de l'Europe. Plus modestement, Picart présente non seulement une source iconographique remarquable: le tableau nominatif avec leurs armes des loges constituées par la Grande Loge de Londres, mais surtout il insère la Franc-maçonnerie parmi les religions occidentales avec leurs rites et leurs cérémonies, en proposant une « Dissertation générale sur plusieurs sectes mystiques modernes » qui paraît en 1736 dans le tome IV des Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde[10]. Après avoir évoqué l'actualité, c'est-à-dire la condamnation récente de l'Ordre aux Provinces-Unies (1735), Picart insère une longue note infrapaginale dans laquelle il propose un premier tour d'horizon de la Franc-maçonnerie qui mérite d'être mieux connu:
« Il s'agit ici de la confrérie établie en Angleterre sous le nom de Free-Massons, c'est-à-dire Massons libres, qui a essayé de former deux ou trois Colonies en Hollande. Le secret de cette confrérie très nombreuse et très distinguée par les personnes illustres qui en sont les membres, est, dit-on, impénétrable, et d'une telle nature que jusqu'à présent personne n'a osé le violer. Sur cela on a formé toute sorte de conjectures contre les Free-Massons: des uns ils ont été regardés comme un assemblage de libertins et de Déistes, des autres comme des débauchés de toute sorte de rang, d'état et de profession, distribués en un grand nombre de classes toutes relatives les unes aux autres. On en a fait des alchimistes et des soufleurs, des chimistes, des nouveaux frères de la Rosecroix, des fanatiques etc. Et toutes ces conjonctures se sont renouvelées en 1735 en Hollande, à l'occasion des Free-Massons qui ont essayé d'y établir des loges (c'est ainsi qu'on appelle les petites assemblées de Free-Massons qui s'établissent en divers quartiers de Londres et qui correspondent exactement avec le corps de la société). A peine la suppression de ces loges a-t-elle été faite dans cette République, que le peuple toujours zélé contre ceux qu'il voit condamnés, les a diffamés comme des gens qui cherchaient à faire des cabales contre l'Etat, et quelques-uns même ont prétendu que c'étaient des débauchés qui allaient rétablir la S... de l'année 1730. Mais ceux qui raisonnent et qui examinent sont persuadés qu'il n'y a ni débauche, ni libertinage dans la Confrérie, et quelle apparence qu'elle subsistât si tranquillement en Angleterre depuis l'année 1691, et qu'elle eût acquis aujourd'hui (en 1735) jusqu'à 129 loges tant dans Londres que dans les provinces d'Angleterre, et même hors du royaume, s'il était vrai que les Free-Massons fussent ou des athées, des déistes et des libertins, ou des factieux et des rebelles, ou des S... etc. quelle apparence que des personnes du plus haut rang eussent pu se résoudre à s'en faire membres et à participer aux iniquités d'une société de scélérats ? Personne n'ignore que l'on compte parmi les confrères des rois, des princes, des seigneurs d'un mérite distingué, et des ecclésiastiques revêtus des plus hautes dignités de l'Eglise anglicane. Enfin quelle apparence qu'un secret de conséquence, et ordonné pour cacher des crimes contre Dieu et contre l'Etat, eût pu tenir contre les remords des uns, ou contre l'avidité des autres, que l'espoir de la récompense aurait pu flatter agréablement, malgré le serment exécrable qu'on veut nous persuader, que ceux qu'on reçoit pour nouveaux confrères, sont forcés de faire. Le voici, tel que le rapporte un petit écrit fort obscur et fort équivoque, imprimé trois ou quatre fois à Londres sous le titre de Massonry dissected etc. c'est-à-dire mot à mot, Anatomie de la Massonerie, où l'on donne la description de ses mystères, de la manière dont on y est admis, des branches de cette Confrérie etc. [:] « Je fais vœu et serment en présence de Dieu tout puissant et de cette très vénérable assemblée, que je ne révélerai jamais les secrets de la Confrérie des Massons, ni rien de ce qui me sera communiqué par elle; que je ne m'entretiendrai jamais avec personne excepté 1. Avec tel fidèle et légitime frère Masson, en la compagnie duquel je me trouverai: et cela seulement après qu'il aura été dûment examiné et reconnu comme fidèle et légitime membre de la Confrérie. 2. Excepté encore, et moyennant que je me trouve avec lui dans une loge suffisamment reconnue pour légitime et bien ordonnée. Je jure aussi de ne divulguer jamais ces secrets de quelque autre manière que ce soit; comme par écriture, ou impression, gravure et peinture, par des signes et des caractères etc. qu'autant qu'il dépendra de moi, je ne permettrai point, ni n'occasionnerai la révélation de ces secrets par aucun de ces moyens... et je consens qu'au cas que je viole mon serment, on me coupe la gorge, on m'arrache la langue et le cœur, et qu'on les jette bien loin du rivage dans les sables de la mer; que mon corps soit brûlé et réduit en cendres; que ces cendres soient répandues sur la terre, et qu'il ne soit jamais fait aucune mention de moi dans la Confrérie des Massons. »
Au reste je crois qu'on doit faire peu de cas de ce que rapporte ce petit écrit, qui ne contient guère que des extravagances et de lourdes fautes: par exemple, il fait d'Euclide un mathématicien d'Egypte et de Charles Marcil (il a voulu dire Charles Martel) un roi de France. On pourra dire que ces fautes sont volontaires, et peut-être ajoutera-t-on qu'elles cachent des mystères et des secrets. Pour moi je mets ces bévues au rang de celles qu'on trouve dans le petit Albert, dans le Picatrix et dans la Clavicule de Salomon etc. et je crois que ce serait perdre son temps et celui de ses lecteurs que de remplir cette note de pareilles extravagances affectées pour duper les simples, et que les bonnes gens en Angleterre en Hollande et sans doute ailleurs ont bien pu se résoudre de regarder comme dignes de leur censure.
La Société ou Confrérie des Massons libres a publié cette année (1735) une liste des loges qu'elle avoue, rangées selon la date de leur établissement qui a continué sans interruption depuis 1691 selon l'écrit intitulé Massonry dissected, avec les armes de chaque loge, telles qu'on les représente ici pour la satisfaction de ceux qui s'amusent volontiers à regarder des tailles douces. On trouve dans ce petit livre l'année de l'établissement de chaque loge, et les jours que l'on s'y assemble. Mylord Weymouth, dont on voit ici les armes, est actuellement grand-Maître des Free-Massons, et c'est à lui que Pine, éditeur de cette liste et lui-même Free-Masson, l'a dédiée.
Une des règles de la confrérie est de se regarder tous comme frères, et l'on ajoute aussi qu'ils doivent s'assister, se communiquer mutuellement leurs lumières et leurs opinions, leurs services, leur bourse et leurs conseils.
On peut donner pour chose certaine, que la confrérie est composée de seigneurs et de ducs et pairs, de jurisconsultes, de médecins, de théologiens, de négociants, de gens de boutique,d'artisans même de crocheteurs... Les plus illustres et les plus riches payent leur admission, ou si l'on veut leur initiation, d'une manière proportionnée à leur rang et à leurs richesses: mais il en coûte moins à ceux d'un moyen état, et moins encore à ceux de la plus basse classe, qui ne payent que six ou sept schillings pour être reçus, suivant ce que rapporte la Masonry dissected. Peut-être pourrait-on comparer cette grande confrérie à une république, qui doit être composée de nobles, de bourgeois et de petit peuple; de savants et d'ignorants; de sages et de fols, de visionnaires et de gens sensés. Mais il est également impossible et ridicule de vouloir faire connaître aux autres ce que l'on ne connaît pas soi-même, et qu'on ne veut pas nous découvrir. C'est donc un mystère dans la société civile de la Grande-Bretagne, que cette confrérie qui a donné de l'ombrage dans quelques pays étrangers. En attendant qu'on dévoile ce mystère, et qu'on nous mette au fait des traits de sagesse ou de folie, ou des réalités, ou des chimères qu'il renferme, il me sera bien permis d'assurer que de la manière dont s'exprime le prétendu mystagogue, auteur de la brochure que je cite, il n'y a rien que d'insipide et de ridicule dans les demandes et les réponses énigmatiques qu'il rapporte, lesquelles contiennent l'examen des apprentis, des frères et maîtres Massons. Il faut, nous dit-on, passer par l'apprentissage, pour monter à la fraternité, et de là à la maîtrise, qui, comme on peut bien le croire, n'est pas accordée à tout le monde. Voyons pourtant ce qu'il est permis à tout le monde de découvrir dans ce mystère.
Sept personnes, à savoir le maître, deux inspecteurs, deux frères et deux apprentis, forment ou peuvent former une loge. Le compas, la règle, l'équerre, un tablier sont les marques et les ornements des Free-massons: ajoutez-y la truelle, et plusieurs autres choses appartenant au métier de masson. Le grand maître porte le soleil sur sa poitrine et un compas renversé. Cette confrérie fait une manière de procession publiquement en carrosse à Londres. Après cela je renvoie à la taille douce, où l'on verra l'équipage du Free-masson, le fauteuil du Maître etc.[11].
La gravure Les Free-massons qui illustre cette section, montre au premier plan les francs-maçons en train de chercher et de travailler aux progrès de l'Art Royal, thématique omniprésente dans les dioramas en couleur qui façonnent la représentation interne et externe de l'ordre maçonnique au XVIIIe siècle[12].
Nombre de ces antiquaires francs-maçons ont effectivement été des Fellows of the Royal Society, des membres de l'académie des sciences, fondée par Isaac Newton, qui fournit à la première Grande Loge de Londres l'essentiel de ses cadres dirigeants ainsi que son inspiration newtonienne. On constate que lorsque Newton était président de la Royal Society en 1718, elle comptait treize maçons clairement identifiés; cinquante-neuf en 1725 et quatre-vingt-neuf en 1730. Considérant que la Horn Tavern Lodge, atelier huppé, n'a pas communiqué de liste complète de membres pour 1730, on peut supposer que le nombre de francs-maçons Fellows of the Royal Society était encore plus élevé à cette date. Mieux, tous les Grands Maîtres entre 1719 et 1727, et tous les Députés Grands Maîtres de 1718 à 1728 sont membres de la Royal Society. Parmi ces francs-maçons membres de la Royal Society et antiquaires distingués, figurent le dédicataire des Constitutions de 1723, dites d'Anderson, le duc de Montagu, Fellow en 1725, ou encore Martin Folkes, Fellow en 1720, Député Grand Maître de la Grande Loge, équivalent approximatif de Grand Maître adjoint, en 1724.
Significativement, James Anderson souligne que son œuvre est avant tout le fruit d'une longue et patiente compilation de sources existantes, dont on sait que certaines furent présentées à la Grande Loge entre 1717 et 1723. Savoir qu'au même moment d'autres antiquaires tentent de « défaire l'écheveau de Babel, et que l'un d'eux trouvait que l'irlandais descendait du phénicien » (Georges Lamoine), permet de mieux comprendre qu'Anderson n'ait pas hésité à faire remonter la Maçonnerie à la Genèse. La démarche d'Anderson s'inscrit également dans la lignée des grandes généalogies médiévales, comme le montre la comparaison avec l'Histoire des Francs de Grégoire de Tours (vers 540-594). L'évêque de Tours n'écrit-il pas: « J'ai cru aussi qu'il serait utile pour la chronologie de faire remonter au commencement du monde mes premiers livres » ? De fait, le livre premier, divisé en quarante-huit chapitres, commence par quatre chapitres sur « Adam et Eve », « Caïn et Abel », « Enoch le Juste », « Le Déluge ». « Babylone », objet du chapitre VI; « Salomon et la construction du Temple », évoqués au chapitre XIII, sont autant de thèmes qui occupent également des places de choix dans l'œuvre d'Anderson et dans le symbolisme maçonnique.
D'emblée, Anderson présente Adam comme « notre premier ancêtre, créé à l'image de Dieu, le grand architecte de l'Univers », sous les auspices duquel l'ensemble des francs-maçons du XVIIIe siècle travaillent. Faire d'Adam le premier maçon n'a rien d'original ni de choquant, si l'on se replace dans le contexte de l'époque. Pour justifier le régime monarchique comme le seul régime à la fois raisonnable et admissible par Dieu, il est en effet habituel de faire d'Adam le premier roi. Le pasteur presbytérien dresse ensuite la longue liste des grands bâtisseurs et des princes mécènes, aussitôt promus Grands Maîtres ou protecteurs de la Maçonnerie. Ce faisant, il élabore la longue et prestigieuse généalogie des pionniers de l'Art Royal: art des rois, et roi des arts. Salomon, « Grand Maître de la loge de Jérusalem », retient longuement l'attention d'Anderson. Il est vrai que la construction du temple Salomon est le récit de fondation par excellence de la Franc-maçonnerie. Anderson précise que « le savant roi Hiram était Grand Maître de la loge de Tyr, que Hiram Abif l'inspiré -celui des francs-maçons, à ne pas confondre avec le précédent- était maître d'œuvre, et que la Maçonnerie était sous la conduite immédiate du Ciel ». Et Anderson de conclure que « le temple du vrai Dieu devint l'objet de l'admiration de tous les voyageurs, d'après lequel, comme sur le modèle le plus parfait, ils corrigeaient leur architecture à leur retour ».
Après avoir intégré Pythagore, sans omettre « l'île savante de Sicile, où s'épanouit le prodigieux géomètre Archimède », Anderson qualifie « le grand Vitruve, de père de tous les vrais architectes jusqu'à ce jour ». Mais il n'oublie pas le rôle de protecteur de l'authentique Maçonnerie qu'ont assumé les princes. « On peut donc raisonnablement admettre, soutient-il, que le glorieux Auguste devint le Grand Maître de la loge de Rome; non seulement il fut le patron de Vitruve, mais améliora beaucoup le sort des compagnons, comme il ressort des nombreux édifices magnifiques qui marquèrent son règne et dont les vestiges constituent le modèle et la mesure de la maçonnerie authentique ». La notion de modèle normatif est déjà présente, préfigurant la définition d'une Franc-maçonnerie régulière, et, partant, d'une Franc-maçonnerie irrégulière, enjeu qui empoisonne aujourd'hui encore les relations entre certaines obédiences anglo-saxonnes et leurs sœurs « latines ».
A ce point du récit d'Anderson, on aurait tort de disqualifier son entreprise comme aberrante, et de n'y voir qu'un pêle-mêle absurde de toutes les constructions célèbres depuis l'Antiquité, des princes qui les ont commandées, ainsi que des architectes et autres géomètres qui les ont réalisées. La première Grande Loge de Londres cherche alors à se constituer un capital symbolique prestigieux, à s'inscrire dans une tradition d'excellence[13]. Surtout, comme toute association nouvelle dans une société traditionnelle, elle est en quête de patronages influents, de protections, et de reconnaissance officielle. Cette quête de la reconnaissance officielle est d'ailleurs l'une des caractéristiques majeures de l'histoire de la Franc-maçonnerie au XVIIIe siècle, et pas seulement en Angleterre. Elle seule est gage de durée, de prospérité, voire de survie, car l'autorité politique s'inquiète naturellement de l'émergence de structures de sociabilité non patentées.
En montrant que les plus grands princes de l'histoire ont soutenu la Maçonnerie et participé aux travaux de l'Art Royal, on peut légitimement espérer que les princes actuels daigneront la regarder d'un œil bienveillant, et qu'ils accepteront de lui accorder leur royal patronage. Dès la dédicace de l'édition de 1738 des Constitutions, la requête est clairement adressée à la dynastie des Hanovre qui règne depuis 1714 sur l'Angleterre:
« Puissant Seigneur,
Le marquis de Carnavon notre Très Respectable Grand Maître, son Député et ses Surveillants, et la Fraternité m'ont ordonné, à moi l'auteur, de dédier humblement en leur nom ce livre des Constitutions à Votre Altesse Royale [...]

Votre Altesse Royale sait bien que notre Fraternité a souvent reçu la protection de personnages royaux dans le passé, ce pour quoi l'Architecture eut très tôt le titre d'Art Royal, et les Francs-Maçons se sont toujours efforcés de mériter cette protection par leur loyauté.
Car en nos Loges nous ne nous mêlons point d'affaires d'Etat ni de quoi que ce soit qui puisse donner ombrage aux Magistrats civils, qui puisse rompre l'harmonie de nos propres communications ou affaiblir le ciment de la Loge.

Et quelles que soient nos opinions respectives sur d'autres sujets (laissant à chacun la Liberté de Conscience) en tant que Maçons nous concourons harmonieusement dans cette noble Science et cet Art Royal, dans les vertus sociales; nous nous montrons sincères et loyaux et évitons ce qui pourrait offenser les Puissances de la Terre, sous lesquelles nous nous assemblons paisiblement de façon solennelle, comme nous le faisons aujourd'hui d'heureuse manière en ces Iles sous votre Royal Père et notre souverain Seigneur Le Roi George II.
La Fraternité tout entière dûment pénétrée du très grand Honneur que vous lui faites en devenant leur Royal Frère et Protecteur, m'ont commandé de signifier à votre Royale Personne leur Gratitude, leur fraternelle affection, et leurs humbles Devoirs à votre Royale Princesse, en lui souhaitant d'être l'Heureuse Mère de nombreux fils, dont les Descendants seront aussi les Protecteurs de la Fraternité à travers les Siècles futurs -ce qui s'est révélé être parfaitement exact.

En ceci les Maçons Francs et Acceptés sont unanimes, et nul ne saurait l'être plus cordialement, en toute Humilité, que,
Puissant Seigneur,

de Votre Altesse Royale
le fidèle et sincère

James Anderson[14].»

Pour convaincre la dynastie originaire du Hanovre allemand d'apporter son patronage à la Grande Loge, gage de reconnaissance officielle, il fallait donc bien évidemment évoquer le rôle des précédents rois d'Angleterre dans l'implantation, la diffusion, et la protection de la Maçonnerie à travers les îles Britanniques. Façon de faire comprendre aux « voyageurs allemands », pour reprendre le qualificatif peu amène que leur avait lancé leur opposant Henry St John, premier vicomte Bolingbroke, en 1715, qu'ils pouvaient aisément faire figurer leurs noms dans une longue tradition, tout à la fois monarchique et anglaise. Anderson l'a fort bien compris. Il saisit aussi qu'insister sur l'intervention décisive des rois d'Angleterre dans l'organisation harmonieuse et rigoureuse de la Maçonnerie opérative au Moyen Age, permet à la fois de solliciter des princes actuels semblables parrainage et patronage à ceux dont avaient bénéficié les maçons opératifs sous leurs lointains prédécesseurs, et d'établir une filiation directe entre Maçonnerie spéculative et Maçonnerie opérative, rejetant toute idée de solution de continuité entre les deux.
Anderson met l'accent sur le rôle du roi Athelstan, « de sang saxon »... comme les Hanovriens qu'il nomme les « rois saxons de Grande-Bretagne» dans l'édition de 1738[15]. Athelstan aurait accordé aux maçons « une charte pour demeurer en Noble Loge, avec de bonnes ordonnances, tirées de vieux écrits par le Prince Edwin, fils du roi dans l'édition de 1723 et son frère dans celle de 1738, brillant Maître-Général qui assembla bientôt à York les Frères et en cette Loge les leur communiqua toutes[16].» Les fondateurs de la Grande Loge de Londres ne feraient donc que renouer avec les pratiques des fondateurs de la Maçonnerie opérative médiévale. Loin d'être une dangereuse nouveauté, leur fondation serait en fait une restauration.
Significativement, l'édition de 1738 ne se limite pas à la compilation des récits légendaires des travaux des pionniers de l'Art Royal. Elle couvre non seulement l'ensemble du Moyen Age, mais les Temps modernes jusqu'à la succession hanovrienne au trône d'Angleterre. Une telle entreprise suppose un esprit imaginatif, si l'on admet que la Franc-maçonnerie spéculative n'existe pas avant la fin du XVIIe siècle en Angleterre. Elle exige aussi une réelle connaissance de l'histoire proche et troublée de l'Angleterre des XVIe-XVIIe siècles, une grande maîtrise des enjeux politiques, car il ne faudrait pas froisser George II, le prince de Galles, ou la faction whig au pouvoir. Or, imagination, érudition, prudence et sens politique ne font pas défaut à Anderson. Cécile Révauger observe avec justesse que « tout tend à prouver que les propos d'Anderson ont été [...] bien pesés, et que leurs conséquences politiques et religieuses ont été mesurées avec précision[17].»
Subtilement, le pasteur presbytérien escamote rapidement la Révolution, le Commonwealth et le Protectorat de Cromwell. Dans le chapitre consacré à la Franc-maçonnerie en Irlande, le paragraphe qui traite de cette période sanglante de l'histoire irlandaise illustre bien l'habileté d'Anderson, puisqu'il réussit à créditer habilement le premier des Hanovre de la restauration de l'Art Royal: « La Maçonnerie fit des Progrès en Irlande sous les Règnes de Jacques Ier et Charles Ier jusqu'au moment des Guerres civiles, et tout l'Édifice s'écroula jusqu'à la Restauration en 1660. Ensuite elle fut remise en honneur par les Disciples d'Inigo Jones -célèbre architecte- sous le Règne de Charles Ier et jusqu'aux Guerres du roi Jacques II. Mais après que le roi Guillaume -il s'agit de Guillaume d'Orange, vainqueur de la Glorieuse Révolution de 1688-1689- eut ramené la paix, les Arts et les Sciences furent à nouveau cultivés sous les Règnes de la Reine Anne et du Roi George Ier[18].»
Lorsqu'il agrège les plus grands architectes à la généalogie des Grands Maîtres qui ont présidé aux destinées de l'Art Royal, Anderson fait preuve de la même prudence. Dans l'édition de 1723, il ne fait que deux brèves références, en notes infrapaginales de surcroît, au célèbre Christopher Wren (1632-1723), architecte en chef de l'église Saint-Paul, qui s'illustra lors de la reconstruction de Londres après le terrible incendie de 1666. En effet, Wren est encore vivant à cette date. Mais en 1738, la seconde édition des Constitutions en fait un authentique franc-maçon, Grand Maître de surcroît. Wren, « passé à l'orient éternel », c'est-à-dire mort, ne pouvait plus émettre de protestations... Anderson en profite pour regretter son manque de zèle, et créditer les vainqueurs de la Glorieuse Révolution d'Angleterre de la renaissance de l'Art Royal[19]. La référence à la Glorieuse Révolution de 1688-1689 ayant chassé le roi Jacques II Stuart du trône est particulièrement habile, car elle ne peut que complaire aux Hanovre à une époque où ceux-ci redoutent encore les entreprises des partisans de la dynastie Stuart, les jacobites, avant qu'elles ne s'achèvent en tragédie lors du désastre de Culloden en 1746. Anderson lie clairement la prospérité de l'Ordre maçonnique au régime né en 1688-1689 et à la nouvelle dynastie sur le trône depuis 1714.
On perçoit déjà l'aspiration à une reconnaissance officielle de la Grande Loge de Londres par l'État. Elle se maintient d'ailleurs tout au long du XVIIIe siècle, s'accentuant même en fonction du contexte politico-religieux intérieur et extérieur. Nombre de francs-maçons continentaux, à commencer par le chevalier jacobite d'origine écossaise André-Michel (Andrew Michael) Ramsay, Grand Orateur de la Grande Loge de France, dans son célèbre Discours de 1737, nourrissent de semblables espoirs. Exister en marge de la sociabilité patentée n'est pas chose aisée. L'appartenance à l'Establishment garantit à la Grande Loge réputation et distinction, mais la « charte d'incorporation » (charter of incorporation) que le Grand Maître duc de Beaufort sollicite en 1769 permettrait de renouer avec la tradition légendaire d'Athelstan et d'Edwin, organisant la Maçonnerie opérative et lui accordant privilèges et protection. Mieux, l'octroi de cette charte par la Chambre des lords signifierait que l'Ordre maçonnique, désormais reconnu corporation publique, bénéficierait d'un soutien financier de l'État. Au moment où la Grande Loge lance le projet très coûteux, voire pharaonique, de construction de Freemasons' Hall, afin de matérialiser dans l'espace londonien la puissance de la Fraternité et le dynamisme de ses ouvriers, une telle garantie ne serait pas négligeable. Il est d'ailleurs significatif de remarquer que les principales critiques à l'encontre de ce projet d'« incorporation» ont été émises par des membres étrangers de loges anglaises ou par les dignitaires de loges continentales constituées par Londres, qui craignent que leurs propres souverains ne réagissent défavorablement à une démonstration trop appuyée des liens unissant la Grande Loge et la monarchie anglaise. Le marquis de Gages, Grand Maître provincial anglais pour les Pays-Bas autrichiens, l'actuelle Belgique, regrette notamment que cette initiative mal venue puisse donner l'impression fausse aux puissances européennes que la Franc-maçonnerie, oubliant son engagement de neutralité politique absolue et de soumission au souverain légitime, s'affiche comme un relais de l'influence politique anglaise sur le continent. Plus prudent que le duc de Beaufort, Anderson s'est contenté de suggérer un parrainage officiel, arguant du fait que le prince de Galles est « Maître Maçon et Maître d'une Loge».
La leçon de cette histoire que content et racontent James Anderson et ses inspirateurs de la Royal Society et des Antiquarians est donc claire: il est vain de s'appuyer sur elle pour établir une histoire « positive » de l'ordre, à la manière des historiens du XIXe siècle. Conformément à la tradition, nos auteurs débutent classiquement leur histoire avec Adam. Ils hésitent souvent entre deux traditions, celle des annales et celle des chroniques. Pour autant, ils ont conclu un authentique pacte d'écriture avec leurs lecteurs privilégiés de la Fraternité: en exhumant des archives des fragments d'histoire, en les composant en une rhapsodie, ils diront, tels d'antiques aèdes, le sens profond de l'ordre maçonnique et de son projet. Il s'agit donc bien d'une invention de la tradition, dont la relecture à distance -celle qui nous sépare du XVIIe et du XVIIIe siècle- ne saurait faire l'économie d'une lecture en contexte, tant la protection du prince et de l'aristocratie est essentielle.


[I] Prfesseur d'histoire moderne à l'Université Côte d'Azur - France.

[1] Hobsbawm E. & Ranger T. ed., The Invention of Tradition, Cambridge, Cambridge University Press, 1983. Il s'agit à l'origine d'actes de colloque. Pour un retour sur cet ouvrage fondateur, on lira: Hobsbawm E., « Inventer des traditions », Enquête, 2 | 1995, mis en ligne le 10 juillet 2013, consulté le 12 décembre 2017. URL: https://enquete.revues.org/319

[2] Le XIXe siècle français connut une vague de créations de sociétés des antiquaires (de l'Ouest, de la Morinie -région de Saint-Omer-, de Picardie...), largement influencées par le modèle anglais, et souhaitant se démarquer des académies et autres sociétés des belles-lettres issues de l'Ancien Régime.

[3] Lamoine G., « Essai de présentation historique », Les Constitutions d'Anderson, traductions sur les textes de 1723 et 1738, Toulouse, SNES, 1995, p. 17.

[4] « I was made a Free Mason at Warrington in Lancashire with Colonel Henry Mainwaring of Karincham in Cheshire; the names of those that were then at the Lodge, Mr Richard Penket Worden, Mr James Collier, Mr Richard Sankey, Henry Littler, John Ellam, Richard Ellam and Hugh Brewer ».

[5] « About 5pm I received a summons, to appear at a Lodge to be held the next day at Mason's Hall London. Accordingly I went, and About Noone Were admitted into the Fellowship of Free Masons, Sir William Wilson Knight, Capt. Rich: Borchwick, Mr. Will: Woodman, Mr Wm Grey Mr. Samuell Taylour & Mr. William Wise. I was the senior Fellow among them (it being 35 years since I was admitted). There were present beside my selfe the Fellowes after named. Mr. Thos: Wise Mr. of the Masons Company this present yeare. Mr. Thomas Shorthose, Mr. William Hamon, Mr. John Thompson, & Mr. Will: Stanton. We all dyned at the Halfe Moone Taverne in Cheapside, at a Noble Dinner prepared at the charge of the New-accepted Masons ».

[6] Les travaux récents sur les guilds montrent qu'elles ne déclinent pas au XVIIe siècle comme on l'a longtemps pensé. Au contraire, elles demeurent très influentes auprès des élites urbaines.

[7] Un témoignage hollandais sur la plus ancienne loge maçonnique bourguignonne connue, prouve d'ailleurs la part essentielle prise par l'enseignement de l'architecture dans la formation des apprentis spéculatifs. Voir Ligou D., « Les origines de la Maçonnerie bourguignonne », Dix-huitième siècle, 1987, n°19, La Franc-maçonnerie, p. 189-203. L'amateurisme est jusqu'à la fin du XIXe siècle, tant dans les domaines scientifique que littéraire ou sportif, un signe éminent de distinction et de bon goût par opposition au professionnalisme, lourd de dépendances, et signe d'une infériorité sociale. Il faudra d'ailleurs utiliser cette tension entre amateur et professionnel, entre maçon spéculatif ou Accepted mason et maçon opératif, comme une clé pour interpréter les relations complexes et conflictuelles qui ont pu exister entre opératifs et spéculatifs, puis entre nobles et bourgeois au sein des loges maçonniques du XVIIIe siècle, principalement sur le continent européen. Elle renforce l'opposition entre otium et le neg-otium, c'est-à-dire entre le loisir aristocratique et l'agitation perpétuelle du négoce qui empêche de « vivre noblement », et devient en fait un stigmate de la roture.

[8] Hunt L., Jacob M. C., Mijnhardt W. ed., Bernard Picart and the First Global Vision of Religion, Los Angeles, Getty Research Institute, 2010.

[9] Hunt L., Jacob M. C., Mijnhardt W., The Book that Changed Europe: Picart and Bernard's Religious Ceremonies of the World, Cambridge Mass., Harvard University Press, 2010; Hunt L., Jacob M. C., Mijnhardt W., Le livre qui a changé l'Europe. Cérémonies religieuses du monde de Bernard Picart & Jean Frédéric Bernard, Genève, Markus Haller, coll. « Modus vivendi », 2015.

[10] Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde, Représentées d'après des figures dessinées de la main de Bernard Picart, e&c., tome quatrième, qui comprend les Anglicans, les Quaquers, les Anabaptistes, e&c., Amsterdam, chez J. F. Bernard, MDCCXXXVI, p. 226 et suivantes.

[11] Cérémonies et coutumes religieuses, op. cit., p. 251-252, suivies de la planche gravée publiée sur deux pages.

[12] Il s'agit notamment d'un diorama conçu à Augsbourg en Bavière par Engelbrecht dans les années 1730-1750. On en trouve des exemplaires à Paris (musée de la Grande Loge de France), ainsi qu'à Bayreuth (Deutsches Freimaurermuseum), La Haye (Cultureel maçonniek centrum 'Prins Frederik') et Londres (The Library and Museum of Freemasonry). Pour une étude approfondie de ce diorama, voir Önnerfors A., 'Secret Savants, Savant Secrets: The Concept of Science in the Imagination of European Freemasonry', dans André Holenstein, Hubert Steinke, Martin Stuber ed., in collaboration with Philippe Rogger, Scholars in Action: The Practice of Knowledge and the Figure of the Savant in the 18th Century. History of Science and Medicine Library/Scientific and Learned Cultures and Their Institutions Series, Leiden, Brill,2013, p. 436.

[13] On se reportera notamment à la belle thèse de Jardin D., « Emprunts opératifs, religieux et ésotériques dans les rituels et l'iconographie des tableaux de loge des systèmes français à hauts grades au XVIIIe siècle: contribution à l'étude de la construction de la tradition maçonnique », 4 volumes, et 300 p. de planches, soutenue à l'Université Nice Sophia Antipolis en 2008, sous ma direction et celle de Jean-Pierre Brach. Elle a fourni la matière de trois ouvrages très documentés: Jardin D., Voyages dans les tableaux de loge, Paris, éditions Jean-Cyrille Godfroy, 2011; Jardin D., Le Temple ésotérique des francs-maçons, Paris, éditions Jean-Cyrille Godfroy, 2012; Jardin D., La tradition des francs-maçons. Histoire et transmission initiatique, Paris, Dervy, Pierre vivante, 2014.

[14] Constitutions de 1738, Les Constitutions d'Anderson, traductions sur les textes de 1723 et 1738 par Georges Lamoine, op. cit., p. 96-97.

[15] Ibid., p. 187-190.

[16] Constitutions de 1723, op. cit., p. 53; Constitutions de 1738, op. cit., p. 152.

[17] Révauger M.-C., « Franc-maçonnerie et religion en Grande-Bretagne: vers une religion d'État », dans Charles Porset, Cécile Révauger ed., Franc-maçonnerie et religions dans l'Europe des Lumières, Actes du colloque de Grenoble, 2-3 avril 1993, Paris, Honoré Champion, Les dix-huitièmes siècles 19,1998, p. 29.

[18] Constitutions de 1738, Les Constitutions d'Anderson, traductions sur les textes de 1723 et 1738, par Georges Lamoine, op. cit., p. 176.

[19] Constitutions de 1738, op. cit., p. 187.

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